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De la stratégie de manifestation de rue

Dernière mise à jour : 10 janv. 2022

Je suis donc retourné manifester, comme je l'avais fait durant l'été 2021. Je n'avais jamais manifesté auparavant dans ma vie, préférant me tenir à l'écart de ces mouvements de foule. Dès ma première manifestation en août t dernier, j'avais été déçu par le manque de tonus de ces opérations. La manifestation du 8 janvier dans une petite ville de province m'a à nouveau laissé cette même impression.



Je ne parle pas de la mobilisation d'un point de vue quantitatif, quoique l'on puisse toujours se désespérer de voir aussi peu de monde, mais du manque d'énergie et de détermination de la foule, qui est par ailleurs tout à fait normal compte tenu du fait que la foule en question n'a pas d'objectif opérationnel autre qu'être là et occuper l'espace public. Et donc embêter les autres. En août dernier, les manifestations réunissaient beaucoup de monde, mais nombreux déjà étaient ceux qui avaient la sensation que nous défilions pour pas grand chose. La mobilisation n'a, dès lors, cessé de décroître.


Pas d'objectif opérationnel, pas de victoire à revendiquer

Ainsi, en l'absence donc d'objectif, il ne peut y avoir de victoire à revendiquer, d'une part, et puisqu'il n'y a pas de victoire possible, il ne peut y avoir de mobilisation. Il ne peut même qu'y avoir démobilisation, ce que j'ai pu constater au fil des semaines, au point que j'ai moi-même cessé de participer aux manifs. Nombreuses sont les personnes qui, comme moi, ont abandonné le combat, trouvant que les manifestations ne servaient à rien.


La seule victoire potentielle d'une manifestation, celle de la participation difficilement mesurable, est du coup facilement contestable et d'ailleurs souvent contestée. Tout au plus peut-on peut se satisfaire de voir "qu'il y a du monde", ce qui d'une part sera rapidement minimisé, et d'autre part ne fait rien avancer. Les manifestants ne peuvent être pris au sérieux par leur adversaire sur la seule base de leur nombre. Une "démonstration de force" doit ... démontrer une "force".


Faut-il continuer à manifester ?

Faut-il alors continuer à manifester ? Oui sûrement, mais tout comme le vaccin n'est pas la seule arme contre ce foutu virus, la manifestation ne saurait être la seule arme contre les velléités tyranniques de certains. Il faut donc : continuer à manifester tout en menant en parallèle des actions plus constructives (de construction d'une société parallèle probablement), et surtout manifester autrement.


Nos manifestations, je le disais, ne sont pas assez offensives. Et l'on peut très bien être offensif sans être agressif. En l'état actuel, les manifestations sont stériles d'un point de vue "narratif", c'est-à-dire qu'il n'y a rien à raconter, puisqu'il n'y a rien à obtenir concrètement, sur le terrain, et puisque rien n'est obtenu. Or c'est bien la structure narrative qui donne du sens à une histoire.




Construire un narratif pour revendiquer une victoire

A.J. Greimas (1917-1992), père de la sémiotique, théorisait que l'analyse d'un texte ou d'une histoire pouvait se faire, entre autre, par l'analyse du "programme narratif". Pour faire vite : toute histoire repose sur la quête d'un héros. Le héros, dans sa situation initiale, est en situation de "disjonction" avec un objet, et il va tout faire pour se retrouver en situation de "conjonction" avec cet objet. (Ou inversement, le héros peut être en situation de conjonction avec un objet et désirer être en situation de disjonction, c'est-a-dire chercher à s'en débarrasser).


En d'autres termes : toutes les histoires racontent les aventures d'un héros qui est séparé d'un objet au début, et qui passe son temps à essayer de le trouver ou de le retrouver. Cet objet peut être matériel (un graal, une épée, un père, une femme) ou symbolique (la liberté pour un détenu, la vérité, la victoire lors d'un procès). Cette quête va conduire le héros à traverser des "épreuves", qui sont de trois types : épreuve qualifiante, épreuve décisive, épreuve glorifiante. C'est ce programme narratif qui donne du sens et toute sa force à une histoire.


Or, rien de tout cela dans nos manifestations. Nous n'avons pas de programme narratif à proposer, donc pas d'épreuve décisive, et encore moins d'épreuve glorifiante : aucune victoire n'est possible. Tout au plus une quête trop vague et générale : celle du retour à la liberté, qui passe par le retrait de certains mesures.


La liberté, que nous scandons de manière stérile depuis plusieurs mois, est un "objet" narratif avec lequel nous sommes en situation de disjonction qui ne saurait suffire à donner du sens sur le terrain à nos manifestations de rues. Pour qu'elles aient du sens, et pour qu'elles soient reconnues comme ayant été un succès, aussi bien par les participants que par nos adversaires, nos manifestations doivent donc avoir un "objet" narratif, c'est-à-dire un objectif, réel ou symbolique, sur le terrain.


Fixer des objectifs à atteindre ou à réaliser

Cet objet peut revêtir différentes formes, et peut même être anecdotique, l'important étant de pouvoir dire que nous l'avons atteint, et que donc nous avons gagné. Ce peut être l'obtention d'une entrevue avec un préfet, l'apparition et la déclaration d'un personnage public au balcon, le retrait des forces de l'ordre (opposants) ou la coopération des forces de l'ordre (devenant des adjuvants), la fermeture d'un lieu ou au contraire l'ouverture d'un lieu, voire la "prise" ou l'occupation d'un lieu symbolique (si possible autre qu'un rond point...), l'accaparement d'un objet symbolique (le décrochage d'un portrait...?), le déploiement d'une banderole en un endroit symbolique et stratégique (une statue, un monument), ou la production d'un "visuel impactant", comme cela a été judicieusement réalisé à Paris où les manifestants ont agité leurs téléphones portables dans le noir, ou à Naples où ont été tirés des feux d'artifices illégaux. On remarquera qu'il doit être possible de déterminer l'objet d'une quête qui ne donne pas lieu à des violences.


Il est amusant de constater que sur le terrain, tout le monde attend. La foule attend que quelque chose se produise. Et c'est probablement ce qui déçoit les manifestants : il ne se passe rien, et d'ailleurs il ne peut rien se produire, puisque sans quête, pas de péripétie. Pour combler le vide, d'interminables prises de paroles se succèdent au mégaphone inaudible, au cours desquels des intervenants essaient toujours plus ou moins de ramener la couverture à leur idéologie. Et c'est là que, généralement, la dispersion débute.


Sans un objet de quête défini sur le théâtre de nos opérations, qui nous permettrait de clamer notre victoire et donc notre réussite, nos manifestations ne sont que des promenades de contestataires qui se dispersent une fois le constat fait de l'inutilité de la promenade.


Photos Bertrand Allamel





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